La mouche
drosophile pond ses œufs dans un milieu protecteur riche en éthanol lorsqu'elle sait que des guêpes parasitoïdes rôdent dans les environs.
L'alcool, c'est la santé. Ce n'est pas les
drosophiles qui diront le contraire. Des chercheurs de l'université
Emory d'Atlanta ont déjà démontré l'année dernière que les larves de
cette mouche résistaient mieux aux attaques des guêpes parasitoïdes
lorsqu'elles baignaient dans une solution contenant de l'éthanol. Ils
expliquaient
dans la revue Current Biology
que la guêpe réfléchissait alors à deux fois avant de pondre ses œufs
dans les rejetons de la drosophile, opération qui transforme ces larves
en garde-manger vivants pour sa propre descendance. Quand bien même la
guêpe s'y résolvait, une grande partie de ses «embryons» souffraient de
la présence d'alcool dans l'organisme de la larve. Six sur dix en
mourraient. Plus étonnant, les bébés drosophiles se mettaient en quête
d'alcool immédiatement après avoir été infectés.
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Des larves de drosophiles - couleurs claires - plongées dans un milieu
nutritif contenant 6% d'alcool (rouge) ou sans alcool (bleu). |
La même équipe américaine va encore un peu plus loin aujourd'hui. Dans
un article publié dans Science ,
ils démontrent que cette stratégie de défense est aussi connue des
mouches adultes. En présence de guêpes parasitoïdes femelles, les
drosophiles pondent 90% de leurs œufs dans un milieu riche en alcool
contre 40% en temps normal. Le bénéfice est immédiat: près de 60% de ces
œufs donneront des mouches contre moins de 10% pour ceux plongés dans
un environnement sans alcool. Cette forme de «réponse immunitaire
comportementale inscrite dans les gènes» fascine les chercheurs
américains.
La drosophile distingue différentes espèces de guêpes
«C'est
très intéressant», reconnaît Alain Vincent, spécialiste de la
drosophile au Centre de biologie du développement (CNRS UMR 5547,
université Toulouse III). «La drosophile est non seulement capable de
distinguer de façon innée les guêpes mâles et femelles, mais elle
reconnaît aussi différentes espèces et adapte sa ponte en fonction de ce
paramètre.» En présence de mâles ou d'une espèce de guêpe qui ne s'en
prend pas à ses larves, les drosophiles privilégient un milieu dépourvu
d'alcool, moins nocif. Pour les auteurs, la mouche atteint cette
précision d'analyse uniquement par la vue. Alain Vincent est plus
sceptique sur ce point et attend «des expériences complémentaires»
permettant notamment d'exclure l'olfaction de façon plus convaincante.
Le chercheur note aussi que les explications neurobiologiques invoquées
dans l'article sont «un peu rapides». Ces dernières évoquent le rôle
présumé du «neuropeptide F», une substance présente dans le cerveau des
insectes pour expliquer
pourquoi les drosophiles mâles se soûlaient aux fruits fermentés pour noyer leur frustration sexuelle.
Un neurotransmetteur équivalent présent chez l'homme, baptisé
neuropeptide Y, expliquerait l'empressement des scientifiques à évoquer
cette piste: cette petite molécule est «à la mode» chez les biologistes.
Elle serait notamment impliquée dans la régulation de l'appétit, de la
sexualité, de la température corporelle ou de la pression artérielle et
suscite donc
de nombreux espoirs, aussi lointains que flous.
La vie de mon aquarium
Thomas